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Association pour la Promotion et la Responsabilisation des Acteurs de la Pêche Artisanale Maritime

Lettre ouverte à Son Excellence Monsieur Macky SALL, Président de la République du Sénégal

Lettre ouverte à Son Excellence Monsieur Macky SALL, Président de la République du Sénégal

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« Promesses » de licence de pêche industrielle : l’Etat prend-il ses responsabilités ?

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Communiqué de presse

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Les hommes et les femmes de la pêche artisanale sénégalaise ne sont pas des enfants

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Arrivée massive de bateaux chinois et turcs : menace sur les ressources et les communautés de pêche artisanale

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il y a 7 ans 28 737 Contributions


INCOHERENCES ET INTERROGATIONS

Plage de Mbour
Photo : Aprapam

«Le Sénégal ne risque-t-il pas d’être importateur de poisson dans quelques années? »

Ces mois derniers sont parus dans la presse beaucoup d’articles sur la pêche maritime notamment sur : le manque de poisson, les usines de farine de poisson et la subvention de moteurs hors-bords.

Les statistiques disponibles mettent en évidence plusieurs incohérences dans la gouvernance du secteur et soulèvent, de notre part, plusieurs interrogations. De même, les mesures incitatives prises naguère et à juste raison, semblent, à présent, non pertinentes. Ces différents points avec d’autres vont être développés dans les lignes qui suivent.

Les exportations de petits poissons pélagiques en hausse constante.

En 2015, les exportations totales de produits halieutiques ont été de 188.463 tonnes (T), avec une valeur commerciale de près de 195 milliards de FCFA, soit par rapport à 2014, une augmentation d’environ 25% en poids et 9,4% en valeur. Il apparait que de 74.022 T en 2006, les exportations ont été multipliées par 2,5 pour atteindre les 188.463 T en 2015.

En outre, entre 2011 et 2015, les exportations de sardinelles rondes, en passant de 3.406 à 40.687T ont été multipliées par 12 et celles de chinchards par 2, en évoluant de 16.519 à 33.234 T. Ces deux espèces sont celles qui agrémentent le plus, le riz au poisson servi dans bon nombre de familles sénégalaises, ainsi que dans les petits restaurants qui font le bonheur des travailleurs déjeunant en dehors de leurs foyers.

Enfin, il faut rappeler, qu’il fut un temps où le Sénégal pouvait se réjouir des résultats de ses exportations. En réalité, ces résultats sont dus aux incitations notamment fiscales accordées par l’Etat dans le cadre des régimes francs en vigueur. Eu égard à la forte augmentation des exportations de sardinelles, espèce qui fait le plus, l’objet d’une consommation directe des populations, une réflexion, à la fois, sur les exportations et sur les incitations fiscales, en vue de les réajuster éventuellement, ne doit-elle pas être engagée?

Les usines de farine de poisson.

Pendant plus de 40 ans, il n’existait au Sénégal que deux usines de farine de poisson qui transformaient des déchets de filetage. Après 2010, ce nombre a augmenté et il y en aurait maintenant près d‘une dizaine.

Devant le nombre d’usines de farine et l’importance des tonnages de poisson traités au détriment de la consommation humaine, nous nous demandons s’il ne faudrait pas geler l’implantation de nouvelles fabriques d’autant plus qu’au Sénégal, la capacité de production des usines ne semble pas être une préoccupation, alors que cette donnée est importante ? En effet, il faut «brûler» cinq tonnes de poisson frais, pour obtenir une tonne de farine.

Les exportations de farine de poisson qui n’étaient que de 990 T (4.950 T en frais) en 2006,ont atteint 6.288 T (31.440 T équivalent poids vif)en 2015.A notre avis, les unités en activité devraient être encouragées à transformer des déchets et en revanche, il leur serait attribuées des quotas de poisson en fonction de la disponibilité de la ressource, des besoins du marché local de consommation en frais et de ceux de la transformation artisanale.

Sous ce registre, le cas du Maroc est à magnifier car dans ce pays, les usines de farine ne sont autorisées à s’approvisionner en poisson frais, qu’à hauteur de 6% de leur capacité de production. Le reste devant être obligatoirement des déchets.

Par contre, notre voisin du nord offre un mauvais exemple, avec la multiplication des fabriques de farine (40 unités semble-t-il) qui empestent l’atmosphère de la ville de Nouadhibou. Soulignons, qu’il y a quelques années, la tonne de farine valait, au plus, 1200 à 1500$. A présent, le poisson congelé vaut 300 $/ T et la farine entre 1800 et 2100$/ T, suivant le taux de protéines. Ceci expliquerait-illa ruée sur la farine de poisson qui sévit actuellement en Afrique?

Pour l‘implantation d’une usine d’une capacité de 5.000 T/an de poisson, il ne faudrait en Tunisie qu’environ 2.350.000 dinar (soit environ 1 million de dollar US) avec la création d’une quarantaine d’emplois, alors que pour une usine de congélation, il faut un investissement beaucoup plus lourd et la création d’une nombreuse main d’œuvre qualifiée.

Avec le nombre d’usines appartenant surtout à des investisseurs arrivés récemment au Sénégal pour bien se positionner sur un marché en pleine expansion, la farine de poisson pourrait devenir un concurrent potentiel des marchés de consommation en frais. Une telle situation affecterait gravement l’approvisionnement des marchés et nuirait à l’atteinte des objectifs du PSE, de la stratégie de lutte contre la pauvreté et de la sécurité alimentaire.

Soulignons que la production mondiale de farine qui entre 1994 et 2014 a évolué de 30,1 à 15,8 millions de tonnes (équivalent poids vif) ne suffit pas aux besoins de l’aquaculture. En dépit de sa croissance qui est de 7% par an, il est peu probable que l’aquaculture se substitue un jour à la production des mers. En effet, la nourriture des poissons d’élevage provient des poissons de mer et il en faut 2,5 à 4 kg pour faire un kilo de poisson d’élevage.

Enfin, comme on le sait, le Sénégal poursuit l’implantation de complexes frigorifiques au niveau des sites de débarquement. L’objectif visé, étant de réguler l’offre et surtout les surplus de production débarqués composés de petits pélagiques, la farine de poisson ne va-t-elle pas à l’encontre de cet objectif ?

Pirogue Kayar
Photo : Aprapam

La subvention des moteurs hors-bord

Au Sénégal, pendant longtemps, on a considéré que la pêche chalutière était la cause de la surcapacité de pêche. Aussi le gel de la délivrance des licences de pêche démersale côtière a-t-il été décidé par arrêté n°5166 du 8 août 2006.

Ensuite, on s’est rendu compte que la pêche piroguière, qui a effectué ces dernières années, entre 85 et 90 % des mises à terre, participait de manière significative à l’augmentation de la capacité de pêche. Partant, un permis de pêche artisanale a été instauré par arrêté n°5916 du 25 octobre 2005.

En outre, le Sénégal avait pris l’engagement d’immatriculer l’ensemble du parc piroguier et adopté l’arrêté n°1718 du 19 mars 2007. L’achèvement effectif de cette opération, le 31 décembre 2014, devait être suivi du gel des immatriculations aux fins du contrôle de l’accès aux ressources avec le permis de pêche artisanale. L’arrêté n°6397 du 29 aout 2012 a consacré effectivement ce gel.

En dépit des dispositions réglementaires susvisées, pour satisfaire une requête des pêcheurs réunis à Cayar, le 16 janvier 2014, une subvention de cinq (5) milliards FCFA pour l’achat de moteurs HB leur a été accordée. Cette libéralité ne va-t-elle pas dans le sens de l’accroissement de la capacité de pêche ?

Le projet de remplacement de la pirogue traditionnelle par des embarcations en fibre de verre

Ce projet qui vise le remplacement de la pirogue en bois par des embarcations en fibre de verre, va lui aussi, dans le sens de l’accroissement de la capacité de pêche et de l’aggravation de la surexploitation des petits pélagiques

notamment. Le remplacement de la pirogue en bois, apparait depuis les années 80, comme une «arlésienne» avec beaucoup d’annonces et très peu de résultats palpables.

Eu égard, à l’état de surexploitation de la plupart des espèces, à quoi serviraient des embarcations de dernier cri, s’il n’y avait plus assez de poisson à pêcher?

L’interdiction de l’utilisation du filet mono-filament une disposition légale rendue quasiment inapplicable

L’article 66 de la loi n°2015-18 du 13 juillet 2015 est relatif aux filets mono-filament interdits depuis 1998 (Décret n°98-498 du 10 juin 1998). Face aux résistances rencontrées dans l’application de ce décret, la commission de révision du code de la pêche a estimé, que le transfert de cette disposition du décret vers la loi, résoudrait le problème. Ainsi, a été proposé un libellé très complet : «sont interdits l’importation, la mise en vente, l’achat, la détention et l’utilisation des nappes de filets maillants fabriqués à partir d’éléments mono filaments ou multi mono-filaments en nylon».A la 25ème heure, cette rédaction a été modifiée avec l’ajout de «sauf dérogation spéciale» sans qu’il ne soit précisé, dans quelle situation elle pouvait être accordée, ni par qui, ni comment? Hélas, cet ajout ébranle tout l’édifice patiemment construit pendant huit ans.

Les pêcheurs de Yoff continueront-ils d’interdire l’accès de leur plage à ceux de Thiaroye adeptes de la pêche avec le mono filament ? Appartient-il aux pêcheurs de Yoff de faire la police sur leur plage? Le droit de pêche n’appartient-il pas à l’Etat (article 3, loi 2015-18 du 13 juillet 2015 ?

Par ailleurs, Samory Touré ne disait-il pas « quand un homme refuse, il dit non». Ainsi, si ceux qui ont introduit « la dérogation spéciale »dans la loi, avaient le moindre doute sur la pertinence de l‘interdiction du filet mono-filament, ils ne devaient pas accepter qu’elle figure dans le code de la pêche. En effet, chaque fois qu’ils auront recours cette dérogation, il leur faudra trouver une formule conforme au droit. Ils n’en seront pas, pour autant, à l’abri de contestations ou de suspicions malveillantes.

Il semblerait que les promoteurs de «la délégation spéciale »se sont abusés. Et comme Sisyphe, ils auront éternellement «à faire, rouler un rocher jusqu’en haut d’une colline, le laisser retomber et le faire remonter ». Pour eux, ne jamais recourir à la dérogation spéciale serait préférable.

La signature du décret d’application de la loi n°2015-18 du 13 juillet 2015 attendue depuis un an

Dans le projet de décret portant application de la loi susvisée existent des dispositions non encore applicables. On peut citer notamment :

  • l’interdiction de la capture de la sardinelle de moins de 18 cm et celle du thiof de moins de 40 cm. A ce propos, notons qu’en Mauritanie, la loi n°2015-017 portant code de la pêche a été promulguée le 29 juillet 2015 et son décret d’application n°2015-159 signé le 1er octobre 2015 est en vigueur;
  • la pêche à l’appât vivant est autorisée exclusivement aux navires thoniers canneurs, titulaires d’une licence en cours de validité. Pourtant, des milliers de pécheurs la pratiquent en utilisant un filet avec des mailles de 16 mm (au lieu de 28 mm) qui font un massacre de juvéniles depuis des années.

Pourquoi ce projet de décret n’a-t-il pas encore été soumis à la signature du Président de la République?

Conclusion

Nul n’est besoin de réinventer la roue aussi, emprunterons-nous notre conclusion au président du PAPAS qui, dans un blog du 1er juin 2016, disait, à peu près, ce qui suit :

  • le problème le plus urgent dans le secteur et auquel il faut trouver une solution rapidement est l’utilisation du mono filament. L’utilisation du mono filament fait partie des facteurs qui font que la pêche ne progresse pas ;
  • le deuxième point concerne la subvention des moteurs, c’est un projet qui va à l’encontre de la réduction de l’effort de pêche tant demandée par tous les acteurs de la pêche. il est incohérent de dire aux pêcheurs de réduire l’effort de pêche et ensuite revenir leur dire on va subventionner les moteurs pour vous permettre d’aller pêcher davantage ;
  •  le troisième point est relatif à la prolifération des usines de farine de poisson, il y en a au moins onze et d’autres en construction. Cela n’augure rien de bon pour la pêche sénégalaise qui souffre de surexploitation et de toutes les formes de pêche illégale.

Dr Sogui DIOUF, vétérinaire

soguidiouf@gmail.com

Pirogue Kayar
Photo : Aprapam