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Après les bateaux russes, bientôt les chinois ?
Après les bateaux russes, bientôt les chinois ?
« Les ressources halieutiques sont renouvelables mais non inépuisables »
Dans le domaine de la pêche, l’événement marquant de la deuxième quinzaine d’avril est l’échange épistolaire entre le Groupement des Armateurs et Industriels de la Pêche (GAIPES) et le Ministère des Pêches et de l’Economie maritime. Le Directeur des Pêches maritimes (DPM) a envoyé aux membres de la Commission Consultative d’Attribution des Licences de Pêche (CCALP) dont il est le président, une convocation pour la tenue d’une « session à distance » compte tenu de la pandémie de coronavirus qui frappe notre pays. Était inscrit à l’ordre du jour, l’examen de demandes de licences de pêche présentées par cinquante-deux armateurs chinois d’une part et d’autre part, de deux sociétés turques d’armement.
Le président du GAIPES, au nom de son organisation, a écrit au Ministre des Pêches et de l’Economie maritime, pour demander le report de la réunion à une date ultérieure. Cette demande de report est à la fois motivée par les effets de la pandémie et des événements qui ont jalonné l’histoire des licences de pêche dans le passé.
Parmi ces événements vécus on peut citer :
- l’arrivée en 1980-1984 d’une importante flotte coréenne appartenant à des société mixtes sénégalo-coréennes ; jamais le Sénégal n’a vu autant de ses fils déserter leurs activités professionnelles habituelles pour endosser le costume de PDG de sociétés-mixtes d’armement de pêche qui avaient la particularité d’avoir un capital social symbolique ;
- la délivrance de plusieurs de licences à des bateaux de pêche battant pavillon russe en dehors des dispositions du code de la pêche au motif que cela financerait la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 92 dont l’organisation était confiée à notre pays. Celle-ci terminée, les armateurs russes ont continué à exploiter illégalement les eaux sénégalaises jusqu’en 1999 ;
- de 2009 à 2012, plusieurs licences de pêche ont encore été irrégulièrement accordées à des chalutiers pélagiques russes;
- en 2018 et 2019, a été constatée la délivrance de licences relevant d’une catégorie qui n’existe pas dans le code de la pêche maritime ; il s’agit de la « licence de pêche démersale profonde, option poissons-céphalopodes ». A ce propos, il serait intéressant de savoir sur quelle base, les redevances dues au titre de la licence de pêche ont été réglées ? Ces redevances ont-elles été fixées par un arrêté interministériel comme prescrit par la réglementation en vigueur ? Quelles sont les espèces de poissons capturés par ces chalutiers de pêche démersale profonde, option poissons-céphalopodes ?
La Commission Consultative d’Attribution des Licences de Pêche (CCALP) a été formalisée par la loi n°98-32 du 14 avril 1998 et son décret d’application n°98-498 du 10 juin 1998. Ces textes ont été abrogés et remplacés respectivement par la loi n°2015-18 du 13 juillet 2015 et son décret d’application n°2016-1804 du 22 novembre 2016.
A l’article 13 de ce décret, le législateur a prévu ce qui suit : « La Commission donne son avis sur :
- toute question relative à l’octroi de licences de pêche à des navires qui lui est soumise par le Ministre chargé de la Pêche maritime ;
- toute demande de licence d’un navire qui opère pour la première fois dans les eaux sous juridiction sénégalaise ;
- toute nouvelle demande de licence d’un navire immobilisé pendant une période de trente (30) mois ;
- toute suspension ou retrait de licence pour des motifs liés à l’exécution des plans d’aménagement des pêcheries adoptés et approuvés, ou d’une évolution imprévisible de l’état des stocks concernés ».
La Commission examine une fois par an, sur la base du rapport du Directeur des Pêches maritimes, la situation générale du programme des licences. Cet examen se fait en considération des plans d’aménagement des pêcheries en vigueur et du rapport du Centre de Recherches Océanographiques de Dakar-Thiaroye sur la situation des principaux stocks de poissons ».
Depuis 1993, l’examen précité est réalisé par une commission d’experts présidée par le directeur des pêches à la demande de l’Inspection générale d’Etat (IGE).
Auparavant, la direction des pêches assurait à la fois l’étude des demandes de licences et l’approbation de ces dernières par l’apposition de sa signature.
Nous serions incomplets dans notre narration, si nous ne citions pas l’Administration qui intervient dans la délivrance des licences de pêche. Il s’agit de l’Administration des Affaires maritimes (actuellement ANAM) qui gère tous les navires notamment les bateaux de pêche avec sa « bible », la loi n° 2022 du 16 août 2002 portant code de la marine marchande et ses décrets d’application. Les actes de nationalité sénégalaise, ainsi que les certificats de nationalité provisoire sont délivrés par l’Administration des Affaires maritimes. Par contre, la promesse de licence qu’on entend dans le discours des agents des pêches est un document délivré par le Ministère des Pêches alors que nulle part dans le code de la pêche cette pièce n’est citée.
Dans l’affaire de l’heure, les licences n’ont pas encore été délivrées mais tenant compte de quatre précédents que les acteurs de la pêche ont encore en mémoire et dont ils craignent la perpétuation, le climat n’est pas à la confiance « chat échaudé craint l’eau froide ».
Nous devons rappeler que le but principal de la gestion des pêches est d’assurer la durabilité des ressources marines et des entreprises qui les exploitent, en assurant, en même temps, des apports suffisants pour les consommateurs. A cet égard, on doit veiller à ce que la pêche soit adaptée à la capacité de renouvellement des espèces, ainsi qu’aux règles du marché (largement mondialisé). Cet objectif s’inspire bien sûr des différents accords internationaux que sont la Conférence des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM) de 1982, l’accord des Nations-Unies sur les stocks chevauchants de 1995 et le code conduite pour une pêche responsable (FAO 1995).
L’exploitation durable des pêcheries est fondée sur un ensemble cohérent de mesures de gestion, qui visent à assurer la préservation d’une quantité suffisante de reproducteurs appartenant à plusieurs classes d’âge, afin que soient atténué l’effet sur les stocks, de conditions environnementales défavorables.
L’administration des pêches devrait donc, en priorité, s’atteler au respect des dispositions du code de la pêche maritime en relation avec le CRODT. Elle ne doit pas se préoccuper uniquement de délivrer des licences, sans faire, périodiquement, l’état des stocks de poissons.
Dr Sogui DIOUF
Vétérinaire à la retraite
soguidiouf@gmail.com