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Le coût de la destruction des océans
Les eaux côtières de l’Afrique de l’Ouest sont parmi les quatre grands écosystèmes mondiaux d’upwelling, qui sont tous délimités par les frontières orientales des océans Pacifique et Atlantique. Ce phénomène océanographique entraîne les remontées des eaux froides vers la surface. Ces eaux riches en nutriments sont à la base d’une intense efflorescence et du développement de la biomasse dans la masse d’eau.
Avec une superficie totale de 1,5 million de km2 – répartie entre la Mauritanie (234 000 km2), la Gambie (10 500 km2), le Sénégal (180 895 km2), le Cabo Verde (734 265 km2), la Guinée-Bissau (105 000 km2) et la Sierra Leone (166 058 km2) – les eaux des États membres de la Commission Sous Régionale des Pêches (CSRP) font partie intégrante de la zone de pêche FAO 34. En dépit de la faible proportion de la surface océanique mondiale couverte par ces zones, elles fournissent près d’un cinquième des captures marines de la planète. En Afrique de l’Ouest, la pêche contribue sensiblement à l’amélioration des indicateurs macroéconomiques et sociaux par la création d’emplois et sa contribution à la sécurité alimentaire. Elle génère des revenus pour les économies locales.
Cependant, la pression exercée par un nombre croissant de flottes de pêche africaines et étrangères a un effet néfaste sur ces eaux pleines de vie. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a émis des inquiétudes concernant les répercussions de l’épuisement des stocks, imputable à la surpêche, sur la sécurité alimentaire et l’économie de l’Afrique de l’Ouest. Une région où près de sept millions de personnes mènent des activités liées á la pêche, et plusieurs autres millions pour lesquels le poisson est la principale source de protéines animales. Selon les estimations, environ 300 000 emplois ont été perdus dans le secteur artisanal en raison de l’absence de politiques qui protègent à la fois la pêche et les moyens de subsistance.
La dégradation de l’environnement marin et côtier de l’Afrique de l’Ouest s’est accentuée ces dernières années en raison de l’effet combiné de la croissance démographique rapide, de l’urbanisation, des catastrophes naturelles et de la surpêche. La surpêche est exacerbée par la pêche Illicite, Non déclarée et Non réglementée (INN), qui a accéléré la perte de la biodiversité marine et côtière, détruit les habitats critiques et aggravé la pauvreté. Les coûts réels des activités de pêche INN sur les communautés côtières, les habitats marins et les économies locales sont très difficiles à chiffrer en raison des divergences entre les modèles mathématiques et les approches scientifiques utilisées pour une quantification basée sur des méthodes d’échantillonnage valides. Quoi qu’il en soit, il est communément admis que la surpêche a des répercussions négatives sur les communautés et l’environnement. Les études menées entre 2010 et 2016 estiment à environ 1,9 milliard d’Euros par an les pertes attribuables à la pêche INN en Mauritanie, au Sénégal, en Gambie, en Guinée-Bissau, en Guinée et en Sierra Leone. Les auteurs d’autres études ont aussi déclaré que seulement 11 millions d’Euros ont été récupérés grâce aux activités de suivi, de contrôle et de surveillance (SCS). L’Afrique de l’Ouest est l’une des régions, au monde, les plus touchées par la pêche INN. En 2014, l’Africa Progress Panel a estimé qu’un tiers ou la moitié du total des captures régionales étaient issues de la pêche INN. Selon les estimations, près de 40 % du poisson pêché dans les eaux de l’Afrique de l’Ouest sont illégaux et environ 54 % de ces stocks sont surexploités, ce qui traduit la gravité de la situation. Les informations disponibles indiquent que diverses ressources marines, à l’instar des espèces de poissons, des invertébrés et coquillages intertidaux, des mammifères marins et de certaines espèces de requins sont maintenant menacées dans cette région.
Les données relatives aux stocks de poissons et aux activités de pêche dans les eaux ouest-africaines ont malheureusement tendance à être rares. Les stocks ayant été exploités à leur maximum au cours des deux dernières décennies, il est impossible d’augmenter les captures et d’améliorer la croissance économique, du moins pas de manière durable. Par conséquent, toutes les activités futures de pêche se doivent d’être durables, socialement équitables et économiquement viables pour pouvoir contribuer au bien-être des populations dont les moyens d’existence et de subsistance de la mer.
Un certain nombre de conditions sont cependant préalables à une meilleure gestion des pêches et du milieu marin : l’harmonisation de la législation des États membres de la CSRP, la maîtrise de la capacité de pêche et l’amélioration de la capacité de production au sein de ces États membres. Il s’agit plus précisément du nombre maximal de captures effectuées au cours d’une période donnée par une flotte entièrement utilisée, en tenant compte du stock de poissons (biomasse et structure par âge) et de l’état de la technologie actuelle. Des informations sur l’état actuel des stocks de poissons sont essentielles pour ajuster la capacité de pêche et éviter la surexploitation, et toutes ces mesures doivent être envisagées dans un contexte marqué par la diminution des stocks de poissons dans les eaux ouest-africaines, aggravée par une capacité de pêche excessive des flottes de pêche étrangères et africaines.
L’absence d’initiatives de gestion des ressources halieutiques basées sur la transparence, les besoins communautaires et la durabilité encourage les États membres de la CSRP à accroître leurs capacités de pêche et favorise la pêche INN en raison de l’inadéquation des politiques et du manque de collaboration entre les pays. Tous ces facteurs contribuent à menacer l’avenir de l’industrie de la pêche dans la région, ainsi que la santé des océans pour les générations à venir.
En mars 2017, le navire Esperanza de Greenpeace entamait l’expédition « Espoir en Afrique de l’Ouest » afin de mettre sous les projecteurs la situation écologiquement et économiquement insoutenable qui prévaut dans ses eaux comptant parmi les plus fertiles au monde. En collaboration avec le Secrétariat permanent de la CSRP et les autorités des États côtiers d’Afrique de l’Ouest, MY Esperanza a mené des opérations de surveillance conjointe dans les zones économiques exclusives (ZEE) de la Guinée-Bissau, de la Guinée, de la Sierra Leone et du Sénégal.
Au cours de cette expédition qui a duré onze semaines MY Esperanza a visité les ports de Praia au Cabo Verde, de Nouakchott en Mauritanie, de Dakar au Sénégal, de Bissau en Guinée-Bissau, de Conakry en Guinée et de Freetown en Sierra Leone. Lors de ces visites, Greenpeace a invité des organisations de la société civile, des associations de pêcheurs, des représentants du gouvernement et des élèves à bord du navire afin de souligner la nécessité de protéger les océans et de gérer les pêcheries de manière durable, et pour présenter les résultats de la surveillance conjointe dans les eaux de l’Afrique de l’Ouest. L’équipe de Greenpeace a noté un enthousiasme pour une progression vers un système de pêche durable dans la région, ainsi que de la volonté et de la coopération de la part des pays qui ont appuyé la surveillance conjointe. Greenpeace a également pris note des opinions énergiques de la société civile locale, des communautés et des groupes de jeunes de la région désireux de garantir aux générations futures des océans sains.
Le présent rapport présente en détail les conclusions et l’analyse des deux mois d’activités de surveillance en mer et de concertation avec des autorités, des communautés et des organisations de jeunes. Le rapport formule également des recommandations visant à pousser les gouvernements ouest-africains à assumer leurs responsabilités et à gérer de façon concertée les activités de pêche, aussi bien des flottes locales que celles étrangères, afin de protéger leurs eaux et d’assurer une distribution équitable et durable des ressources marines.
Le rapport de l’expédition de Greenpeace dans les eaux ouest-africaines en 2017 à télécharger ci-dessous
Source : Greenpeace Afrique