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« Promesses » de licence de pêche industrielle : l’Etat prend-il ses responsabilités ?
« Promesses » de licence de pêche industrielle : l’Etat prend-il ses responsabilités ?
Un aspect que nous voulons relever concernant les demandes de «promesses de licences» de pêche concernant 56 bateaux à majorité́ étrangers en voie de sénégalisation, c’est que le débat concerne avant tout la capacité de l’Etat du Sénégal à prendre ses responsabilités.
Cette action qui ferait de ces bateaux des nationaux et leur donnerait l’autorisation de pêcher dans nos eaux, obligerait l’Etat sénégalais à prendre toutes ses responsabilités, qui sont bien définies au niveau international : en tant qu’ Etat côtier et en tant qu’ Etat du pavillon.
Les Etats du pavillon ont avant tout la responsabilité d'exercer un contrôle sur les activités de leurs navires de pêche. Avant d'autoriser la nationalisation d'un navire de pêche et de lui permettre de battre son pavillon, le Sénégal doit s'assurer qu'il est bien en mesure d'exercer un contrôle sur ses activités. De plus, un Etat doit éviter de nationaliser un bateau qui a une histoire de pêche INN. Comme le relève la FAO : ‘Bien qu'il soit difficile de prévoir si un navire se livrera à des activités de pêche illicite, non déclarée et non réglementée, les possibilités qu'il le fasse augmentent si le navire s'en est déjà rendu responsable auparavant’[1].
Dans le cas qui nous occupe, le Sénégal a-t -il vérifié que ces navires ont tous les outils en place, notamment le VMS, pour permettre le contrôle efficace de leurs activités ?
L’Etat a-t-il été informé de ce que certains de ces bateaux ont été impliqués dans des activités de pêche INN, comme à Madagascar ?
Comme Etat côtier, le Sénégal autoriserait donc ces bateaux à pêcher du merlu, des petits pélagiques, des crevettes, etc. En ligne avec ses obligations internationales, l’Etat doit prendre en compte tous les éléments pour s’assurer que cette nouvelle capacité de pêche ne nuise pas à la conservation et à l’exploitation durable des ressources. Pour rappel, l’arrivée de ces 56 bateaux signifierait une augmentation, d’un seul coup, de 25% du nombre de bateaux industriels qui pêchent dans nos eaux ! De plus, la plupart des ressources pour lesquelles un accès est demandé sont considérées comme surexploitées.
L’avis du CRODT, qui évalue l’état de nos ressources, a-t-il été dûment pris en compte pour examiner le bien-fondé d’aller plus loin dans ces demandes de ‘promesses de licence’ ?
Comme il s’agit de stocks partagés, a-t-on exploité les rapports d’évaluation des organisations régionales (CSRP, COPACE) ?
En 2015, le Tribunal International du Droit de la Mer ITLOS a précisé les obligations de l’Etat côtier[2] pour assurer la gestion durable des stocks partagés et des stocks d’intérêt commun, comme les petits pélagiques et le merlu. Pour le Tribunal, les Etats membres de la CSRP, dont le Sénégal, ont l’obligation d’assurer la gestion durable des stocks partagés, lorsque ces stocks se trouvent dans leurs zones économiques exclusives respectives. Cela inclut ‘l’obligation de coopérer, avec les « organisations internationales compétentes, sous régionales, régionales ou mondiales » en vue de « prend[re] des mesures appropriées de conservation et de gestion pour éviter que le maintien des stocks partagés de la zone économique exclusive ne soit compromis par une surexploitation » (voir article 61, paragraphe 2, de la Convention sur le Droit de la Mer).
Ces obligations du Sénégal seront-elles remplies si le Sénégal octroie plusieurs dizaines de licences à des bateaux qui vont cibler les stocks partagés de petits pélagiques et de merlu déjà surexploités ?
Poser toutes ces questions, c’est y répondre.
APRAPAM
21 Mai 2020
[2] ITLOS, communiqué de presse, 2015 https://www.itlos.org/fileadmin/itlos/documents/press_releases_french/PR_227_FR.pdf